Toute la subtilité pour laquelle la Direction d’Axa IM est pourtant douée n’a pas réussi à embrouiller l’Administration du travail. Dans une lettre d’observations dont l’Ugict-CGT était en copie (comme l’ensemble des syndicats et instances de représentation du personnel Axa IM), la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, du travail et de l’emploi (Direccte) a invité la Direction d’Axa IM à « préciser » la nature juridique de son projet de licenciement déposé auprès de l’Administration en juin dernier. En effet, dans la première version présentée aux syndicats et instances de représentation du personnel, la Direction a indiqué que les salariés dont le poste est supprimé pouvaient se porter « volontaires au départ » ou « candidats à la mobilité interne ». Mais que se passe-t-il si le salarié ne souhaite pas partir, et sa mobilité n’aboutit pas (quelque soit le motif) ? Sans précision sur ce point, la première version du « projet de licenciement » de la Direction ne comportait pas suffisamment de garanties pour être qualifiée de « plan de départs volontaires ». L’Ugict-CGT a rencontré la Direccte à deux reprises depuis l’annonce du projet afin de clarifier certains points obscurs, dont celui-ci.
LA PREMIÈRE VERSION DU PDV AXA IM PRÉSENTÉE EN JUIN 2018 ÉTAIT TECHNIQUEMENT UN « PROJET DE LICENCIEMENT »
Si l’idée de « Plan de Départ Volontaire » (PDV) n’est pas nouvelle, elle n’est pas réglementée par le Code du travail qui n’en fait aucune mention. Les entreprises ont une grande liberté sur la conception et l’exécution d’un tel plan parce qu’il exclut la possibilité de contraindre des salariés à quitter l’entreprise ou à accepter une modification à leur contrat de travail.
À partir du moment où l’employeur envisage de contraindre ses salariés à quitter l’entreprise ou à accepter une modification de leur contrat, il doit établir un Plan de Sauvegarde d’Emplois (PSE) motivé par des justifications économiques, qui peuvent être contestées : Si l’employeur n’arrive pas à démontrer que la réduction de ses effectifs est nécessaire à la survie de l’exploitation, le PSE pourra être refusé par l’Administration pour cette raison.
Techniquement, ce que la Direction a présenté aux syndicats et instances de représentation du personnel Axa IM en juin dernier était un PSE « au titre des dispositions des articles L1233-61 et suivants du Code du travail et L1233-24-1 ou le cas échéant L1233-24-4 et L1233-30-I-2 du même code » :
- L’article L1233-61 dispose notamment que lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l’employeur établit et met en oeuvre un plan de sauvegarde de l’emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre. Ce plan intègre un plan de reclassement visant à faciliter le reclassement sur le territoire national des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité, notamment celui des salariés âgés ou présentant des caractéristiques sociales ou de qualification rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile.
- L’article L1233-24-1 dispose notamment qu’un accord collectif peut déterminer le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi ainsi que les modalités de consultation du comité social et économique et de mise en œuvre des licenciements. Cet accord est signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations reconnues représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants. L’administration est informée sans délai de l’ouverture d’une négociation en vue de l’accord précité.
- L’article L1233-24-4 dispose notamment qu’à défaut d’accord mentionné à l’article L. 1233-24-1, un document élaboré par l’employeur après la dernière réunion du comité social et économique fixe le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi et précise les éléments prévus aux 1° à 5° de l’article L. 1233-24-2, dans le cadre des dispositions légales et conventionnelles en vigueur.
- L’article L1233-30-I-2 dispose notamment que l’employeur réunit et consulte le comité social et économique sur le projet de licenciement collectif : le nombre de suppressions d’emploi, les catégories professionnelles concernées, les critères d’ordre et le calendrier prévisionnel des licenciements, les mesures sociales d’accompagnement prévues par le plan de sauvegarde de l’emploi et, le cas échéant, les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail ; et qu’en l’absence d’avis du comité social et économique dans des délais imparties, celui-ci est réputé avoir été consulté.
Mais la Direction savait pertinemment qu’il n’y a aucune justification d’ordre économique pour un PSE chez AXA IM : L’entreprise est extrêmement riche et rentable, acquitte chaque année à son actionnaire unique un dividende égal à 100% de son résultat net, et prévoit sur les 3 prochaines années une hausse de 11% en moyenne de son résultat opérationnel.
Au Comité d’entreprise de décembre 2017, soit 6 mois avant l’annonce du PSE, la Direction a affirmé qu’aucune suppression de postes n’était prévue au titre de ses orientations stratégiques à l’horizon 2020.
Ainsi, la Direction a ajouté à son PSE la phrase « fondé entièrement sur le volontariat » afin d’échapper aux formalités d’un PSE réglementé.
Mais le contenu de son plan, selon la Direccte, était imprécis.
LA DIRECCTE A DEMANDÉ À LA DIRECTION DE PRÉCISER LA NATURE JURIDIQUE DE SON PROJET
Pour que le projet de suppression d’emplois Axa IM soit considéré comme un PDV « autonome et exclusif », la Direccte a invité la Direction à préciser que les salariés dont le poste était supprimé seraient « maintenus à leur poste ou sur un poste équivalent ne nécessitant pas une modification du contrat de travail ».
En effet, comme la Direccte a du rappeler à la Direction d’Axa IM, dans le cadre d’un plan de départ volontaire autonome, le consentement n’a de signification et de force juridique que lorsque le salarié a réellement pour alternative de partir dans le cadre du plan ou de rester, à condition que ce soit sur son emploi ou sur un autre emploi de même nature ne nécessitant pas de modifications contractuelles.
Un simple oubli ? Les multiples avocats et consultants qui ont aidé la Direction à concevoir son projet ont-ils tous loupé ce point important avant d’imprimer les documents communiqués aux instances de représentation du personnel et à l’Administration du travail ?
Une deuxième version du plan, présentée aux syndicats et instances de représentation du personnel à la rentrée de septembre, comporte cette précision, condition essentielle pour que le projet soit considéré comme un PDV autonome exclusif, au lieu d’un projet de licenciement collectif.
LE DIABLE EST DANS LES DÉTAILS : L’UGICT-CGT ENCOURAGE LES SALARIÉS À REMONTER TOUT CAS DE PRESSION POUR QUITTER L’ENTREPRISE OU ACCEPTER UNE MODIFICATION DES TERMES ET CONDITIONS DE LEUR CONTRAT DE TRAVAIL
Mais le simple fait d’écrire cette condition essentielle du PDV n’est pas suffisant : il faut qu’elle soit réellement respectée par la Direction.
Il est interdit à l’employeur d’exercer une quelconque pression sur les salariés d’accepter une modification ou rupture de leur contrat de travail au titre d’un PDV. L’avocat mandaté par le CE pour analyser le PDV préconise même que la Direction devrait s’engager à maintenir les salariés à leur poste, « sans évoquer un autre emploi car l’affirmation de l’absence de modification du contrat va ouvrir des contestations sans fin ».
Il est par conséquence important pour les salariés de rester vigilants, surtout dans un contexte où la Direction a déjà annoncé que sa nouvelle organisation sera mise en place dès novembre, avant que les « volontaires » soient identifiés et que leur demande soit acceptée/validée.
L’Ugict-CGT est le premier Syndicat qui a attiré l’attention de la Direccte sur les pressions exercés sur les salariés afin qu’ils optent pour le PDV avant même que les conditions soient négociées par les syndicats.